Applications et données personnelles au travail : comment passer de l’individuel au collectif ?

Comment passer du diagnostic individuel au diagnostic global et à la performance collective ? Réponse en partant de 3 projets passés par le Transformateur.

Plusieurs projets, présentés lors de la 2e session du Transformateur concernaient des applications collectant des données individuelles pour rendre un service à l’individu . Ramenés à un diagnostic collectif et partagé, ces dispositifs pourraient être une opportunité pour identifier des sujets à traiter collectivement dans des espaces de discussion par exemple, et permettre une évolution significative de l’usage du numérique dans l’entreprise. Comment passer du diagnostic individuel, au diagnostic global et à la performance collective ? Article de Léna Miller-Jones (Anact).

Lors de la 2e session d’accélération du Transformateur les 23 et 24 Mars dernier, plusieurs projets avaient pour objectif de développer des services permettant aux individus de prendre conscience de leurs usages des outils numériques notamment et ainsi d’être en capacité de modifier leurs comportements. Ces dispositifs visent à collecter des informations individuelles via un questionnaire, une intelligence artificielle ou encore un module s’adaptant aux logiciels existants.

Retour sur ces projets

Mailoop, la première solution d’amélioration continue de l’usage de l’e-mail en entreprise
En intégrant un module de signalement des comportements abusifs ou vertueux dans les messageries électroniques, Mailoop collecte les ressentis des collaborateurs. Il rend anonyme les données, puis génère des rapports mensuels confidentiels pour accompagner chaque salarié émetteur vers un meilleur usage de l’e-mail. L’idée est de responsabiliser les personnes émettrices de mails « en donnant le pouvoir d’agir au récepteur et le devoir de réfléchir à l’émetteur ».
La promesse de ce dispositif : réduire le stress, mieux communiquer, et améliorer la QVT selon le ressenti de chacun.

Smarter Time : mesure du temps, organisation et équilibre
Smarter Time est une intelligence artificielle qui aide à mieux comprendre et gérer le temps individuellement. Elle utilise toute l’information contextuelle des téléphones et autres appareils pour mesurer précisément l’utilisation du temps.
Smarter Time est positionné par l’entreprise à la fois en tant qu’outil de bien-être et de productivité personnelle.
La promesse de ce dispositif : être plus efficace et assurer un meilleur équilibre entre vie privée, vie professionnelle et repos. À terme, simplifier le suivi du temps professionnel et en faire un vrai outil utile au salarié pour gérer son travail.

Mental Performance Score (MPS), un outil d’écologie mentale
Le Mental Performance Score (MPS) est un outil d’écologie mentale développé par My Mental Training Pro. Sa fonction est d’évaluer le caractère plus ou moins vertueux des entreprises dans les domaines du confort intellectuel et de la performance cognitive.
A l’aide d’une centaine de critères ayant trait à l’environnement de travail, à la culture managériale ou aux comportements individuels, l’objectif du MPS est de détecter les situations de ‘surchauffe’ mentale susceptibles d’impacter fortement la performance de l’entreprise et la santé des salariés.
La promesse de ce dispositif : Mesurer des critères articulés autour des notions de ‘concentration / lutte contre les interruptions’, ‘repos / régénération’ et ‘émotions / relations’, afin de proposer des mesures correctives adaptées et d’accompagner les entreprises dans la mise en place de pratiques d’écologie mentale soutenant la dynamique intellectuelle et le bien-être des collaborateurs.

Comment agir collectivement à partir de données individuelles ?

D’après l’ANI QVT de 2013, « la possibilité donnée aux salariés de s’exprimer sur leur travail, sur la qualité des biens et services qu’ils produisent, sur les conditions d’exercice du travail et sur l’efficacité du travail, est l’un des éléments favorisant leur perception de la qualité de vie au travail et du sens donné au travail. » L’idée est donc de favoriser la discussion sur le travail pour mieux le transformer collectivement.

Les dispositifs proposés par les trois porteurs de projets peuvent s’inscrire dans ce cadre si les données individuelles collectées permettent d’identifier des indicateurs et d’alimenter un diagnostic collectif et partagé. Les résultats issus de ces diagnostics pourraient devenir alors des objets de discussion sur le travail autour desquels les collectifs pourraient échanger et co-construire pour trouver des pistes d’amélioration communes. De plus, ramener le traitement de ces données au collectif de façon sécurisée et anonyme, évite une dérive (la sur-responsabilisation de l’individu) et un risque d’utilisation des données à des fins de traçabilité et de sanction individuelles.

Une opportunité pour ces projets est donc de passer d’une logique de traitement individuel par l’outil à une logique de diagnostic permettant un traitement global et collectif par l’entreprise. L’offre de ces projets pourrait ainsi être étoffée par des actions de sensibilisation ou de formation sur les thèmes visés par ces dispositifs.

Comment les solutions de diagnostic numérique peuvent-elles améliorer la qualité de vie au travail ?

Avantages et points de vigilance dans l’utilisation des outils de diagnostic de qualité de vie au travail, aux travers de 2 projets passés par le Transformateur numérique.

Aujourd’hui sur le marché des solutions et des services RH, de plus en plus d’applications proposent aux entreprises de réaliser en temps réel et de manière continue, des diagnostics sur la qualité de vie au travail.

Alors que jusqu’à présent les diagnostics se faisaient de manière ponctuelle (une ou deux fois par an, et encore, quand ils existaient !), ces solutions permettent de prendre la température du climat social et des conditions de travail au long cours. Concrètement, comment cela fonctionne-t-il ? Les collaborateurs répondent régulièrement (voire quotidiennement) à des questions générées par l’application. L’application propose aussi aux collaborateurs des ressources (informations RH), des conseils en ligne, personnalisés, pour améliorer sa qualité de vie au travail. Les résultats de ces sondages sont partagés en continu avec la direction.

Ces solutions dématérialisées favorisent-elles réellement la santé au travail ? Pour qui ces solutions sont-elles réellement des soutiens ? Pour le collaborateur ? La direction de l’entreprise, le prestataire ? Les analyses qui en ressortent alimentent-elles le dialogue social ?
Autant de questions qui nous ont amené à interviewer deux porteurs de solutions pour mieux comprendre les enjeux et les opportunités de celles-ci : « Pulse@Work » proposé par le cabinet Empreinte humaine, et le projet de « digitalisation des outils de diagnostics » proposé par Toit de Soi.

>> Ces outils présentent indéniablement plusieurs avantages : 

  • Ils permettent d’être plus réactifs que les enquêtes annuelles.
  • Ils s’adaptent aux rythmes des changements dans l’entreprise, et donnent à voir les variations du « climat social ».
  • Ils sont en adéquation avec les besoins des managers, puisqu’ils leur fournissent régulièrement des indicateurs sur la QVT de leur équipe. « Le manager est informé plusieurs fois dans l’année – à lui de choisir le rythme -, ce qui lui permet d’agir pour améliorer la QVT de son équipe au quotidien » précise Jean-Pierre Brun, chercheur Québecois, fondateur du cabinet Empreinte Humaine.
  • Les outils numériques permettent de mixer plusieurs approches dans une même application. Par exemple Pulse@work met à disposition avec les questionnaires, des informations RH, une banque de solutions matérialisée par des vidéos de managers et d’experts, des fiches pratiques…
  • Les outils numériques collaboratifs facilitent également les échanges entre collaborateurs éloignés physiquement dans un contexte où le management à distance prend de plus en plus d’importance.

>> Mais ils génèrent aussi de nombreux points de vigilance, comme en témoignent Jean-Pierre Brun et Guillaume D’Orléans.

D’abord, un point essentiel, dont les porteurs de solutions numériques ont bien conscience : l’interaction virtuelle ne doit pas effacer les échanges physiques, le dialogue en face à face. Une condition intrinsèque de la qualité de vie au travail est le contact humain (!).

Autre point de vigilance, les outils numériques ne dispensent pas d’une réflexion sur le contenu, la pertinence et la rigueur scientifique des questions, du traitement des données et des informations mises à disposition. Ainsi les concepteurs de Pulse@work ont-ils opté pour des questions factuelles et des indicateurs « leading » c’est-à-dire orientés vers l’atteinte de la cible et la progression des actes de management, plutôt que vers des indicateurs passés, le« lagging » en anglais et des perceptions de type « bien être ».

Enfin, il faut être vigilant au risque de « surcharge cognitive » induite par le numérique avec la multiplication des applications aussi bien personnelles que professionnelles, utilisées au quotidien. Face à ce risque – réel – (on sait que les collaborateurs passent facilement 20% de leur temps à nourrir des tableaux de reporting de l’activité), il est essentiel d’approfondir « l’expérience utilisateur » : comment positionner ces outils de sondage pour qu’ils ne polluent pas le travail des collaborateurs (déconcentration, sur sollicitation, perte des priorités) mais qu’ils permettent une remontée d’informations utiles et salutaires ?

L’expérimentation et l’approfondissement de l’expérience utilisateur sont d’autant plus importants que beaucoup de questions restent encore en suspend : par exemple, quant à la gouvernance de l’outil et des données produites (le prestataire, l’entreprise, le collaborateur lui-même ?). Seuls l’expérimentation et le dialogue des équipes autour de celle-ci permettront de définir le bon positionnement, la bonne gouvernance.
Ainsi l’outil n’est ni d’abord individuel ou collectif, mais « local » : c’est-à-dire à prendre en compte dans son contexte d’utilisation. Pour Guillaume d’Orléans, concepteur de la solution Toit de Soi, il s’agit de « revoir et proposer de nouvelles modalités d’interventions plus collaboratives qui intègre le client ». La solution technique n’est pas seulement à « implémenter » : mais à mettre en discussion au sein de l’entreprise cliente. Le prestataire peut prendre alors un rôle d’animateur de cette mise en discussion. A moins que ce ne soit le rôle pris par d’autres intervenants, comme les préventeurs. Le prestataire technique pouvant souhaiter, lui, se repositionner sur des tâches « à plus forte valeurs ajoutées », comme l’analyse fine des données.

Comment ces outils seront-ils reçus par les équipes ? Produiront-ils des changements internes quant aux opportunités de dialogue, au sein des équipes, sur les conditions d’un meilleur travail ? Cela est fort possible, mais dépend aussi de la capacité des prestataires eux-mêmes à accepter ce changement de pratiques, induit par les outils. Là encore le retour de Toit de Soi est intéressant, le cabinet ayant fait appel à un prestataire pour sensibiliser ses consultants aux impacts du numérique car « l’équipe avait besoin de monter en compétences sur la transition digitale » déclare G. D’Orléans. C’était là une manière de faire prendre conscience aux équipes des changements induits sur le travail, par les pratiques numériques. Les technologies – a fortiori quand elles produisent des effets réflexifs, c’est-à-dire créant de nouvelles formes de connaissances –, génèrent inexorablement des changements dans les pratiques de travail.
Car, l’on oublie souvent, un investissement matériel, technologique, nécessite des investissements immatériels (de conduite de projets, d’accompagnement du changement) non moins importants, et aussi coûteux en temps.

Alex Picaud ARACT Ile-de-France, Nicolas Vispi ARACT Haut de France

Source image : image issue du site Toit de Soi