Des promesses de l’automatisation du travail

Le débat sur la destruction de l’emploi, ou non, du fait des progrès techniques n’est ni nouveau ni clos, parler automatisation devrait permettre de parler des transformations du travail.

Article initialement publié sur Internactu, écrit à 4 mains avec Hubert Guillaud

Alors que l’économie du partage repose sur l’échange entre humains, sur une meilleure mise en relation des gens entre eux, son avenir pourrait être bien différent. Pour Jeremiah Owyang (@jowyang) analyste chez Crowd Companies et observateur, toujours critique, de la première heure des évolutions de l’économie collaborative… ce secteur pourrait être la prochaine victime de l’automatisation, explique-t-il sur son blog. Le développement de la robotique autonome (voitures, drones…), de l’intelligence artificielle, des services numériques personnalisables… annonce une transformation du secteur : que ce soit dans le domaine du transport partagé, de la livraison, du partage de domicile ou de bureaux ou des places de marché d’emploi à la demande.

L’économie collaborative, prochaine victime de l’automatisation ?

Le PDG d’Uber, par exemple, n’a jamais caché qu’il cherchait à développer des voitures autonomes pour remplacer les chauffeurs et l’alliance, sur le marché chinois, avec son concurrent Didi Chuxing, lui a permis d’avoir des ressources supplémentaires pour essayer d’atteindre, à terme, cet objectif. Par ailleurs, Apple a investi 1 milliard de dollars dans Didi, qui a lui-même fait un partenariat avec un concurrent d’Uber, Lyft, qui a de son côté reçu de l’argent de General Motors pour pouvoir développer une voiture autonome. Pour avoir une vision plus détaillée des liens entre les industries automobiles, les entreprises technologiques et les servies de covoiturage, Bloomberg a publié cette très intéressante infographie.

Les services de voitures partagés ne devraient pas être les seuls à se convertir à l’automatisation. Les livreurs de colis, pizzas et autres marchandises vont être remplacés par des drones volants ou munis de roues. Bien qu’ils puissent sembler encore très futuristes, les robots livreurs de la société estonienne basée à Londres, Starship Robotics (vidéo) ont déjà « parcouru 23 500 km dans 59 villes de 16 pays et ont croisé 2,8 millions de personnes » dans la rue, sans que cela ne gène personne.

Le partage de domicile ou de bureaux lui aussi va s’autonomiser avec le développement de serrures numériques, de conciergeries autonomes, des services numériques personnalisés qui se reconfigurent et se personnalisent pour s’adapter aux allées et venues, sans avoir plus besoin d’hôtes ou d’office managers…

Quant aux places de marché de services, de type Upwork ou Freelancer, de simples bots pourront facilement compléter des tâches répétitives. Des services comme M, l’assistant personnel de la messagerie instantanée de Facebook, ou Watson d’IBM sont les premières étapes d’une automatisation plus accrue, qui vont pousser les travailleurs des plateformes à se spécialiser (management de robot, tâches complexes, sciences humaines, art…). Mais avec des robots qui apprendront plus vite que les humains (parce ce qu’ils sont en réseau, qu’ils peuvent traiter une plus importante masse de données, augmenter le rythme si besoin), le combat peut sembler perdu d’avance…

 

L’automatisation pour pousser toujours plus loin la performance individuelle

Perdu d’avance ? Ou pas ! Le débat sur la destruction de l’emploi, ou non, du fait des progrès techniques n’est en effet ni nouveau ni clos. La question n’est d’ailleurs peut-être pas tant celle de la destruction ou de la création d’emplois que la transformation des façons de travailler, comme nous le soulignions dans Questions Numériques.

L’automatisation nécessite de revisiter la définition de l’emploi, comme le suggèrent les consultants Ravin Jesuthasan, Tracey Malcolm et George Zarkadakis dans la Harvard Business Review. Comment l’emploi se structure-t-il, comment se reconfigure-t-il ou se redéfinit-il à l’âge de l’automatisation intelligente ? Comment les entreprises doivent-elles repenser la valeur d’un emploi, en terme de performance accrue, grâce à l’intelligence de la machine ? Dans quelles compétences devraient-elles investir ? Quels emplois devraient rester au sein de l’entreprise ?…

En effet, en partant du principe que la technologie, la numérisation et l’intelligence artificielle accélèrent les transformations, les relations entre performance et valeur deviennent plus complexes et donnent lieu à des opportunités potentiellement exponentielles de création de valeurs. Le retour sur le rendement amélioré (ROIP) – similaire au rendement sur investissement (ROI) – mesure la valeur de l’amélioration des performances dans un emploi donné. Par exemple, dans un avion, l’automatisation cognitive des agents de bord pourrait permettre d’améliorer l’expérience des passagers en leur fournissant des services personnalisés. Équipé de ses Google Glass, le steward pourrait savoir que le passage au siège 2A souhaite avoir son repas rapidement pour pouvoir ensuite dormir et que celui en 3C est allergique aux noix. La technologie améliore ainsi la performance individuelle de l’employé et le client satisfait augmente dès lors la performance globale de l’entreprise. L’intelligence artificielle peut également aider le personnel des centres d’appels en les coachant, en leur recommandant de parler plus lentement, de moins couper la parole, ou en les prévenant que la personne au bout du fil est contrariée. Là encore, l’enjeu de l’automatisation est d’améliorer toujours et encore la performance individuelle… ce qui n’est pas sans impacts sur l’entreprise.

Vers l’automatisation managériale ?

Il peut même y avoir des avantages à avoir un robot manager, c’est-à-dire à confier les tâches de management à un robot, expliquent les spécialistes de la psychologie au travail, Tomas Chamorro-Premuzic (@drtcp, qui publie L’illusion du talent) et Gorkan Ahmetoglu (cofondateur de la société de recrutement Metaprofiling). En effet, les robots managers permettent d’éviter les disputes (car malgré tous les progrès sur l’informatique émotionnelle, les robots n’ont pas d’émotions et ne se vexent jamais), de favoriser les retours « objectifs » (en quantifiant les performances), et de prendre de meilleures décisions (pour autant qu’elles ne soient pas encore trop complexes à prendre). Cela ne suffit certainement pas encore tout à fait, nuancent-ils en rappelant que les robots peuvent se tromper, qu’ils ne savent pas encore tout faire et que les humains ont besoin de contacts humains. Pas sûr que ces solutions soient encore tout à fait mûres, donc.
Les algorithmes peuvent aussi aider les employeurs à savoir comment leurs employés se portent, ce qui les intéresse, ce qui les ennuie, rapporte Kaveh Waddell pour The Atlantic…, en analysant les réponses à des questionnaires envoyés régulièrement, les conversations, les commentaires sur les réseaux sociaux internes… Twitter par exemple à recours à Kanjoya pour mesurer l’expérience de travail de ses employés via des sondages réguliers. IBM analyse les échanges et conversations sur son réseau interne, Connections, utilisé par ses 380 000 employés, via un outil d’analyse du sentiment, Social Pulse, pour en dégager des tendances.

Si l’analyse automatique de sentiments est encore très imparfaite, on peut parier qu’elle ne va pas arrêter de s’améliorer. Des chercheurs indiens envisagent d’utiliser la vidéo pour améliorer la perception du bien-être des employés, afin que les entreprises puissent mieux réagir à leur humeur. Pas sûr que cette détection automatisée poussée à son extrême se révèle très productive. Il y a en tout cas encore à déterminer le bon grain de l’ivraie des promesses de l’automatisation managériale…