Outiller la participation des salariés en entreprise pour accompagner la transformation digitale

La transition numérique affecte aujourd’hui tous les métiers et tous les secteurs. Parallèlement, de nombreux outils numériques émergent pour outiller la participation de tous. Comment faire en sorte que ces deux courants convergent mieux au sein des entreprises pour contribuer à la fois à l’amélioration des conditions de travail et à une meilleure performance des organisations ? Clément Ruffier, chargé de mission Anact, nous livre quelques éléments de réponse.
Les outils numériques ouvrent de nouveaux horizons en matière de participation des citoyens à la société. Les civicTechs – civic technology – cherchent ainsi à faciliter les fonctionnements démocratiques en rendant plus visibles les processus politiques, en favorisant la transparence et la mise à disponibilité les données publiques, en soutenant la création de communautés ou de réseaux citoyens, en facilitant le financement de projets, les processus de vote ou plus généralement en aidant à la co-conception de documents ou de décisions.
On peut citer par exemple Loomio un outil d’aide à la décision collective, Stig qui organise les débats, le comparateur de programme Voxe, LaPrimaire.org qui visait à organiser une primaire citoyenne ou encore Fullmobs qui aide à animer des mobilisations ponctuelles.

Mais ce courant peut-il pénétrer l’entreprise et aider à développer la participation des salariés et des parties-prenantes – partenaires, prestataires, travailleurs indépendants, etc. ?
La promesse du numérique consisterait ici à construire/équiper un écosystème favorisant la délibération, la coopération et l’implication de tous, pour une amélioration des conditions de travail et une meilleure performance des organisations de travail.
Or pour y répondre, deux défis doivent encore être relevés :
- faire d’avantage de place à la participation dans les processus de conception des technologies et des écosystèmes numériques qui peuplent et structurent les environnements de travail,
- apporter les potentialités des outils technologiques et architectures numériques dans les démarches de participation mises en œuvre dans les organisations de travail.
Les collectifs de travail : angle mort de l’expérience utilisateur ?
Si l’expérience utilisateur fait désormais l’objet de préoccupations constantes dans les développements d’applications et de services, elle concerne plus spécifiquement les clients finaux mais quasiment jamais l’expérience « salariée » : c’est-à-dire des personnes qui sont impliquées dans la production desdits services. Les salariés sont souvent un angle mort des processus de conception.
Les méthodes agiles ont largement contribué à sensibiliser les entreprises sur la nécessité d’impliquer les utilisateurs dans leurs processus d’innovation de nouveaux produits ou services avec des boucles d’itération courtes. Néanmoins, une fois ceux-ci stabilisés, les processus de vente, pensés comme relevant de la diffusion, ne permettent plus aux usagers de bouger les cadres. Par ailleurs, on note bien souvent un manque de prise en compte de l’expérience des collectifs de travail. Tout se passe comme si, une fois que les produits ou services sont packagés, il n’existait plus de possibilités de les faire évoluer en fonction des contextes d’usages.
Or, la somme des usages individuels ne décrit un cadre d’usage collectif. Les entreprises achètent un produit « clé en main » qui impose une certaine construction des interactions de travail. Il paraît au contraire intéressant d’adapter les outils et les technologies choisis aux contextes d’usage, de façon à ne pas subir les transformations des organisations de travail. Il s’agirait ainsi de faire délibérément de celles-ci une occasion d’améliorer les conditions d’exercice de l’activité, de construire des environnements de travail qui soutiennent les capacités de travail et d’apprentissage en situation de travail.
Plusieurs questions se posent alors :
1) Comment les choix technologiques sont-ils discutés en entreprise ?
L’exemple de Novial – lauréat du premier appel à projet du Transformateur Numérique – sur la digitalisation de l’entreprise est intéressant de ce point de vue. Dans un contexte de transformation interne des métiers importante dans cette entreprise spécialiste de la nutrition animale, a été mise en place une démarche très collaborative, avec des groupes par métiers qui vont faire eux-mêmes les choix relatifs à la mise en place d’une plateforme d’analyse de données d’un réseau social d’entreprise, l’installation de capteurs, l’optimisation de la communication entre services ou encore la réduction de la pénibilité de certains postes en fonction des critères qui semblent les plus adaptés aux pratiques métiers, à la culture d’entreprise.

2) Comment peut-on faire de la conception collaborative ?
On peut ici prendre l’exemple du centre Erasme – le laboratoire d’innovation de la métropole de Lyon – qui organise des sessions d’idéation/prototypage en réunissant des agents de niveaux hiérarchiques différents ainsi que des externes (start-up, designer) qui travaillent sur un plan d’égalité.
Le numérique, boîte noire de la participation ?
Le lien entre participation et numérique semble encore plus fort en ce qui concerne les usages de nouveaux outils. Ouverts à tous, favorisant des modes de fonctionnement horizontaux, faciles d’utilisation, transparents, gardant trace des échanges, pouvant articuler l’asynchrone et le temps réel etc. autant de qualités attribuées au numérique et qui semblent faciliter la participation de tous les acteurs des projets et in fine leur meilleure coopération.
On peut ici prendre l’exemple de Pulse@work d’Empreinte humaine – lauréat du premier appel à projet du Transformateur Numérique – qui est une application digitale, accessible à tous, permettant une expression directe des salariés et des managers sur le climat des équipes de travail, la qualité de vie au travail et la qualité du travail.
Tamashare – lauréat du troisième appel à projet du Transformateur Numérique – est une solution de téléconférence qui permet de partager une table virtuelle pour faciliter le travail collaboratif à distance.
Le concerteur – lauréat du premier appel à projet du Transformateur Numérique – est un projet expérimental artistique qui propose d’introduire un tiers désintéressé et non humain dans les échanges inter-hiérarchies afin d’améliorer l’écoute et de faciliter la participation du collectif.
Il est cependant utile de se rappeler que tous les outils numériques ne sont pas porteurs de ces principes. Et, au-delà des principes, se pose aussi la question des conditions d’usage.
Les outils numériques peuvent même parfois constituer des boites noires qui empêchent de fait la participation de tous sur les mêmes. De nombreux outils reposent sur des architectures inintelligibles, insaisissables ou impraticables, dès lors que ne sont pas pensés des dispositifs de traduction permettant leur compréhension pour les néophytes, voire les réfractaires aux nouvelles technologies.
Il arrive fréquemment que les outils opèrent une hiérarchisation et même des tris entre les contributions selon des modalités sur lesquels les utilisateurs n’ont du coup pas de prises. Ces opérations ne sont jamais neutres en ce qui concerne la place des participants, certains se trouvant alors dans des situations privilégiées vis-à-vis d’autres.
Dans les plateformes collaboratives, il est ainsi fréquent de distinguer des administrateurs et des contributeurs, les premiers pouvant par exemple souvent effacer les apports des seconds sans laisser de traces. Cette distinction peut créer d’importantes frustrations pour les participants d’un projet, surtout lorsque les rôles de chacun et leurs pouvoirs ne sont pas clairement établis en amont. La relation directe qui est souvent présentée comme étant l’apanage des outils numériques visant à mettre en relation les utilisateurs d’un service avec les producteurs ou encore les différents participants d’un projet peuvent masquer au contraire une invisibilisation des intermédiations qu’ils portent. Les outils numériques peuvent ainsi parfois laisser croire à des modes de fonctionnement horizontaux – cf. réseau social d’entreprises – quand les droits d’utilisation sont parfois très hiérarchisés.
Le défi des inégalités de compétences à la participation et au numérique
Enfin, certains analystes comme Julien Charles[1] ont bien compris que participer repose sur des compétences. Or celles-ci sont inégalement réparties. Le passage à une participation outillée numériquement peut aussi augmenter les inégalités, par exemple liées à la fracture numérique, rendant plus difficile aux acteurs les moins dotés de capitaux – notamment scolaires – de prendre leur place dans ces processus. Les liens entre participation et numérique sont donc moins clairs qu’il n’y parait de prime abord.
Comment profiter de potentialités des technologiques numériques, de la mise en réseau, de l’exigence de transparence, de la possibilité de contrôle réciproque, etc., pour enrichir les processus de participation dans l’entreprise ?
Un appel à projet sur la participation des salariés à la transition numérique
C’est la raison pour laquelle le nouvel appel à projet du Transformateur Numérique s’est intéressé à la participation des salariés à la transformation numérique des organisations. Faire en sorte que numérique et participation se rejoignent afin de contribuer à l’accélération de projets favorisant QVT et performance des organisations : tels sont les objectifs portés par ce dispositif.
[1] Julien Charles est sociologue, chargé de recherches au FNRS, chercheur au GSPM-IMM-EHESS et au CriDIS-UCL. Il a publié en 2016 « La participation en actes : entreprise, ville, association », Paris, Desclée de Brouwer.
Candidatez jusqu’au 4 janvier 2018 à l’appel à projet