L’influence du numérique sur les conditions de travail

Ce que le numérique fait au travail… et réciproquement : quelques réflexions sur les transformations du travail et de l’entreprise sous l’influence du numérique.
Extrait d’un article écrit par Amandine Brugière, initialement publié sur Internetactu.net.
L’individualisation des équipements, leur portabilité et l’informatique dans les nuages sont en train de modifier les conditions de travail comme le soulignait la récente note d’analyse du Centre d’analyse stratégique sur l’impact des TIC sur les conditions de travail, et d’en faire éclater l’unité de temps et de lieu. On travaille plus facilement à distance, en mobilité, à des heures décalées. Un des effets les plus communément ressentis est celui d’un brouillage des frontières entre vie professionnelle et vie privée : on travaille de chez soi, on gère des communications personnelles – téléphone, sms, tweet – pendant les heures de travail. On amène au travail son équipement personnel (le phénomène Bring your own device, Byod), plus performant, moins bridé. On utilise l’équipement professionnel à des fins personnelles (films, jeux pour enfants…).
Cela engendre en particulier deux tensions :
- Celle liée à l’injonction paradoxale d’une « autonomie sous contrôle » faite au travailleur connecté : d’un côté on attend de lui autonomie, prise d’initiative, responsabilité, et de l’autre on contrôle en temps réel ses résultats, ses déplacements, ses communications…
- Celle liée à la coexistence dans le temps et dans l’espace des activités contraintes, choisies, personnelles, de loisirs, etc. Si le « travail-gagne pain » ne réussit pas sa mue en « sources d’épanouissement ou réalisation de soi », il court le risque d’un investissement moindre de la part des individus. Le rapport au travail se construit aujourd’hui, et peut-être plus fortement encore chez les jeunes générations, autour d’attentes expressives et relationnelles très fortes.
Cette dernière tension pourrait en outre être renforcée par une montée des revendications autour du « travail gratuit » (qu’on appelle le digital labor). L’économie sous-jacente aux réseaux est en train de mettre à jour de nouvelles formes de production de valeur, basées sur la captation des traces d’usages. Par là, c’est la notion même de « travail » qui est bousculée puisque toutes activités développées sur les réseaux (la production ou le partage de contenu, les réseaux sociaux, la navigation, les recherches…) constituent une forme de travail gratuit alimentant « l’Internet-Factory ».
Cette tension montante entre travail et activité est forte de conséquences, car « l’activité » n’est pas encore source de revenus, alors même qu’elle est sous-tendue par des dépenses publiques importantes d’éducation, de protection sociale, d’accès aux réseaux… Si de nouvelles fiscalités se cherchent autour de la captation des données, cela ne constitue d’un début de réponse.
Le malentendu entre les organisations et les individus
En attendant, le malentendu entre les organisations et les individus va croissant. Les entreprises avouent leurs difficultés à obtenir de leurs collaborateurs l’engagement et l’audace qu’elles en espèrent. Les individus disent ne pas trouver dans les organisations, le contexte pour « se réaliser ». Ils se sentent souvent peu écoutés, mal reconnus dans leurs efforts. Ils s’investissent moins dans des entreprises qui, sentent-ils, investissent moins en eux.
La flexibilité n’a pas été cet opérateur magique attendu, entre les attentes des entreprises en matière d’adaptation aux fluctuations des marchés, et les aspirations des individus, en matière d’autonomisation et de construction d’itinéraire professionnel diversifié et sécurisé.
Pour éviter le divorce, il devient urgent de re-questionner ce qu’est le travail à l’ère du numérique, au regard de ses différentes caractéristiques : production de richesse, obtention de revenu, liberté de création, épanouissement personnel, obtention de droits et de protection…