Égalité professionnelle et numérique : Le numérique a-t-il un sexe ?

Cet article est le 1e d’une série sur le sujet « Comment le numérique fait-il progresser l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail ? »

La culture et les outils du numérique et de l’intelligence artificielle induisent des transformations profondes dans nos modes de vie et dans les organisations du travail des entreprises : transformation des activités de travail, collaborations étendues entre équipes ou entre entreprises et partenaires-prestataires, éclatement de l’unité de temps et de lieux. Ils créent également de nouveaux emplois et domaines d’activité.
En parallèle, les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes perdurent, comme nous le montrent les études statistiques nationales sexuées et les interventions du réseau Anact-Aract depuis plus de 10 ans : en termes de mixité des métiers, de parcours professionnels, de conditions de travail et de santé au travail, d’articulation des temps de vie professionnelle et personnelle, et ce au détriment des unes et des autres ?
Ces inégalités sont en partie liées aux stéréotypes de genre et représentations de métiers plus ou moins conscientisées, qui imprègnent les pratiques RH et de management dans les entreprises. Les inégalités professionnelles sont un coût pour l’entreprise en termes de santé au travail, de performance individuelle et collective, d’innovation organisationnelle, d’attractivité.
Le numérique échappe-t-il à ces constats nationaux ? Femmes et hommes ont-ils accès de la même manière au numérique ? Les usages du numérique sont-ils vecteurs d’impacts différenciés sur les femmes et les hommes ? Le numérique est-il vecteur d’égalité professionnelle et de qualité de vie au travail pour toutes et tous ?

Les analyses existantes sur l’impact du numérique sur les conditions de travail sous l’angle du genre nous dressent un bilan mitigé : non mixité des métiers du numérique, inégale détention de compétences numériques pourtant cruciale pour l’accès à l’emploi et le développement de carrière, situations de travail liées au numérique différentes, compte tenu des métiers occupés et usages des TIC différents, inégalité d’accès au télétravail par exemple, pourtant levier d’articulation des temps, problématiques de déconnexion et de charge de travail accentuées par la double contrainte professionnelle et familiale…

Constats nationaux tous secteurs d’activité confondus :

  • MIXITÉ : Femmes et hommes représentent 48% et 52% de la population active. Pourtant, la moitié des femmes sont concentrées dans 12 des 86 familles professionnelles (agents d’entretien, enseignants, employés administratifs…), alors que les hommes ont accès à plus grande diversité de métiers.
  • PARCOURS : Les pensions de retraites des femmes par rapport à celles des hommes ont une différence de 43%, l’écart moyen de revenu salarial est de 24%, de 17% en équivalent temps plein, de 8% inexpliqué à travail de valeur égale (chiffres DARES). En termes de parcours, parmi les emplois non qualifiés elles sont 63%, le SMIC 80%, les temps partiels 80%, les cadres 39%, les dirigeants 17%.
  • CONDITIONS DE TRAVAIL & SANTÉ AU TRAVAIL : Les femmes ne sont pas exposées aux mêmes situations de travail. Les risques professionnels sont donc de différentes natures et les pénibilités parfois invisibles ou minimisées.
  • ARTICULATION DES TEMPS : Les femmes et les hommes n’ont pas les mêmes droits quant à la parentalité. Les femmes prennent encore davantage en charge des responsabilités familiales.

 

Constats dans le secteur du numérique :

  •  PARCOURS
    • COMPÉTENCES NUMÉRIQUE & CARRIÈRE : « Les compétences technologiques jouent un rôle clé dans le développement de carrières, mais les femmes sont moins nombreuses que les hommes à les développer (Étude IPSOS pour Microsoft conduite en 2010 auprès de 500 femmes françaises actives ou en recherche d’emploi) » – 61% des femmes interrogées sont bien équipées en matériel et en savoir d’utilisation. Ce sont plutôt des cadres supérieures. 12% sont des « techno-défavorisées ». Elles sont plus souvent ouvrières, employées, résidant en milieu rural, de faible formation initiale, elles aspirent elles aussi à une vie professionnelle numérique puisqu’elles sont même 62% à souhaiter pouvoir profiter des technologies numériques. « Elles sont à la fois moins disponibles pour leurs contraintes familiales et aussi pénalisées en terme d’équipement, ce qui leur cause deux handicaps. Elles ont un sentiment d’incompétence” (Le numérique est un vecteur d’égalité femmes-hommes au travail, Silicon.fr 03/2016).
    • MÉTIERS DU NUMÉRIQUE ET PLAFOND DE VERRE : Les femmes sont encore peu présentes dans les cursus ingénierie, sciences et technologies. Et les plus déterminées d’entre elles se heurtent au plafond de verre lorsqu’il est question de se hisser au sommet de la hiérarchie (Le numérique est un vecteur d’égalité femmes-hommes au travail, Silicon.fr 03/2016).
  • CONDITIONS DE TRAVAIL
    • USAGE DU NUMÉRIQUE DIFFÉRENCIÉS : L’enquête « conditions de travail » de 2013 éclaire sur l’usage des technologies selon le sexe : en 2013, les femmes salariées utilisent plus souvent l’informatique dans leur travail (74%) que les hommes (68%). 54% d’entre elles utilisent Internet contre 48% des hommes. A contrario, ordinateurs et téléphones portables sont plus fréquemment utilisés par les hommes salariés (respectivement 28,4% et 55,8%). L’usage de l’informatique est moins mobile en moyenne pour les femmes : elles sont 63,3% à travailler sur un ordinateur fixe et 19,1% sur un ordinateur portable ; elles n’étaient que 33,7% à utiliser un téléphone portable pour des besoins professionnels (Lydie Vinck, Synthèse.Stat’ DARES 11/2014).
    • NUMÉRIQUE ET CONDITIONS DE TRAVAIL : Certains métiers comme celui de caissière sont transformés sous l’influence du numérique : rythme et charge de travail des employées, nature des tâches des employées et du rapport au client (Rapport d’information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur le projet de loi pour une république numérique (n° 3318) par Catherine COUTELLE, 12/2015).
  • ARTICULATION DES TEMPS
    • NUMÉRIQUE ET ARTICULATION DES TEMPS : 29 % estiment que le numérique leur offre un meilleur équilibre entre vie personnelle et professionnelle. Plus de 40 % des sondés, hommes et femmes confondus, indiquent que le numérique leur permet de travailler depuis chez eux (How digital is helping close the gender gap at work).
    • TÉLÉTRAVAIL : tout type de télétravail confondu, les femmes représentent 7 % des télétravailleurs en France (Patricia VENDRAMIN, Laurent TASKIN in Le Télétravail, une vague silencieuse, 2004).

 

D’un côté, les usages du numérique peuvent entretenir les inégalités actuelles, voire en créer de nouvelles. De l’autre, le numérique peut être une véritable opportunité pour réduire les inégalités : dans le cadre d’actions ciblées sur les différentes niveaux d’écarts relatifs au numérique et au-delà, mais également dans le soutien qu’il peut apporter aux processus de dialogue social et professionnel en entreprise souhaitant intégrer de manière transversale l’enjeu d’égalité professionnelle.

L’exemple du télétravail développé dans l’article n°2 de cette série montre dans quelle mesure cette modalité, forme illustrative des transformations liées au numérique, peut être un frein mais aussi que la conduite de projet de télétravail est un levier à l’égalité professionnelle sous conditions. En effet, comme dans tout projet de transformation organisationnelle, il est important d’avoir une démarche de diagnostic de l’existant en matière d’égalité professionnelle dans l’entreprise mais également une démarche de pronostic des impacts permettant de bien identifier à quelles conditions les projets de transformation, notamment numériques, peuvent être un levier pour l’égalité professionnelle.

Sources : Réseau Anact-Aract – Mission VMI