Génération Y : où est le travail ?

Le management doit-il vraiment être différent en fonction de l’âge des salariés ? Voici quelques éléments de réponse, par Thierry Rousseau de l’Anact/ECP/Astrolab.

Il est fréquent d’associer l’arrivée des nouvelles générations sur le marché de l’emploi comme un rendez-vous manqué. Les générations arrivant actuellement dans l’entreprise seraient rétives à dispenser les efforts nécessaires pour s’assurer une intégration pleine et entière au monde de l’entreprise. Ces générations, nées dans les années 80 et 90, dites Y (pour Why, c’est-à-dire pourquoi[1]), exprimeraient une triple refus (la pénibilité, la hiérarchie, et l’attachement à l’entreprise) et manifesteraient avant tout la volonté de s’accomplir (« le Y cherche avant tout une séquence de vie, une aventure ») par un usage assidu des nouvelles technologies.

Cette impression semble tellement répandue qu’il existe aujourd’hui une offre de conseils en direction des entreprises pour répondre aux enjeux posés par l’intégration des Y. Le management devrait s’adapter et proposer une différenciation de traitement entre les jeunes et les plus âgés. Les premiers constitueraient un problème spécifique qu’il faudrait traiter par des mesures adéquates. Il serait nécessaire de rendre le travail plus ludique, d’aplatir les hiérarchies, de s’adapter à la labilité comportementales des ces jeunes qui veulent avant tout de la flexibilité plutôt qu’une trajectoire professionnelle structurée.

Remarquons d’emblée que cette demande des jeunes, pour le moins, semble tomber à pic. S’il est une réalité massive actuellement, c’est bien l’incapacité du marché du travail à proposer des emplois stables pour tous. De ce point de vue, ne pas s’attacher à l’entreprise peut même apparaître comme une réaction salutaire. Après tout, celle-ci peut mettre facilement fin à la relation salariale. Il serait incongru de trop attendre d’elle, surtout en terme de stabilité.

Mais est-ce la bonne façon de poser le problème ? Que nous disent les enquêtes et comment analyser les évolutions du travail et de l’emploi ?

  1. La littérature consacrée aux générations Y est pléthorique. Elle souffre toutefois d’une certaine redondance et va en se répétant. De plus, elle semble mal assurée dans ses fondements méthodologiques. Les « jeunes » ne sont pas comparés avec les autres catégories d’âges. Souvent, ce sont des professeurs qui prennent leurs étudiants comme échantillon d’analyse. L’enjeu est ici de déconstruire cette littérature pour en montrer les limites.
  2. Il importe aussi d’analyser les inégalités réelles de conditions de vie et de travail entre les générations. Les générations arrivant sur le marché du travail, dans le contexte actuel, subissent des trajectoires spécifiques : chômage plus élevé que leurs aînés, salaires moindres, expositions plus forte aux contraintes physiques et mentales du travail, horaires atypiques, précarité systématique, etc. L’imaginaire des trente glorieuses, fondé sur le plein emploi et l’autonomie individuelle, en prend un coup. Il existe bien une coupure intergénérationnelle mais celle-ci relève avant tout des conditions réelles d’existence et non d’artefacts comportementaux imputés en soi et sans vérification à tel ou tel âge de la vie.
  3. Il est aussi possible de convoquer des enquêtes systématiques qui comparent le rapport à l’emploi des différentes générations. Ces enquêtes montrent qu’il n’y pas de séparation nette entre les générations concernant le rapport à l’emploi et au travail. Tous souhaitent se réaliser et disposer d’un cadre de travail stable et structuré. S’il y a des différences, elles sont de l’ordre de la nuance et de la gradation progressive. Tous aussi, semblent marqués par la montée des valeurs individualistes. Certains chercheurs en concluent, sous forme de boutade, que nous appartenons tous à la génération Y.

L’examen de ces trois éléments permet de comprendre le sens ultime des discours portant sur la génération Y : une construction qui permet d’occulter l’ensemble des transformations structurelles qui ont affectés le travail et l’emploi depuis trente ans. Oui, les jeunes et les plus âgés vivent des situations profondément différentes. Mais ces différences relèvent surtout d’évolutions objectives et non pas de comportements attribués presque par essence à certains.

Il est commode d’imputer aux plus jeunes un désir de flexibilité et de labilité. Cela l’est parce que le système de l’emploi ne semble pas en mesure de leur offrir autre chose. Pas à tous du moins, parce que les inégalités salariales progressent et que tous n’accèdent pas facilement à l’emploi qualifié et stable. De plus, s’intéresser aux phénomènes générationnels reste un moyen sûr d’explorer les arcanes de ce qui vient. Les « jeunes », demain seront majoritaires. Se pencher sur cette génération, observer sa composition et ses déclinaisons statutaires permet de dresser le portrait de la société de demain. Avis aux amateurs, un champ de recherche est ouvert.

[1] Encore que l’origine de cette dénomination ne soit pas certaine. Il peut s’agir aussi de la forme Y des écouteurs de baladeurs (d’I Pod) que les jeunes porteraient en permanence. Le pourquoi marque l’insoumission supposée de ces générations qui ne se contenteraient pas de faire ce qu’on leur demande, mais voudraient avoir voix aux chapitres, exprimant ainsi un besoin de comprendre pour agir.